Location et senior : la réalité d'une discrimination

    Publié le 30 avril 2008 par Propos recueillis par Pauline Polgar
    Encore taboue, la discrimination à la location envers les personnes âgées est une réalité. Elle se fonde pourtant sur une méconnaissance de la loi : les propriétaires croient en effet à tort qu'ils ne pourront pas jamais récupérer leur appartement, la législation protégeant les personnes âgées contre les expulsions abusives. Le point avec la Halde.
    Gisèle, 75 ans, a perdu son mari l'été dernier. Parce qu'elle est totalement indépendante, vaillante et qu'elle ne veut pas rester seule dans une maison isolée à la campagne, elle décide de se réinstaller à Paris, auprès de ses petits-enfants. Mais là, à la surprise de son fils qui s'occupe des démarches de dépôt de dossier, impossible de lui trouver un appartement à louer ! A Paris direz-vous, il est difficile pour tout le monde de trouver à se loger... Mais dans ce cas, l'argent n'est pas le problème : là où le bât blesse c'est son âge ! "Dans les agences, on me disait qu'elle ne trouverait jamais, on me conseillait de prendre le bail à mon nom..." témoigne-t-il. Il a beau s'accrocher, il lui faut se rendre à l'évidence : "Aucune agence, même les institutionnelles, n'a voulu prendre ma mère comme locataire : ils avaient peur de ne jamais pouvoir récupérer leur appartement du fait de la législation protectrice envers les personnes âgées." En cause : la loi Mermaz de 1989.

    Un paradoxe

    Dans son article 15, la loi précise en effet : "Le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé (...) à tout locataire âgé de plus de soixante-dix ans." Quel paradoxe : la loi se révèle protectrice dans un sens et discriminante dans l'autre ! Pourtant, comme l'explique à Maison à part Fabien Dechavanne, chef du pôle "Biens et services" à la direction juridique de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde), cette discrimination n'a pas lieu d'être, car elle vient essentiellement d'une méconnaissance de la loi.
    Maison à part : Avez-vous déjà eu connaissance à la Halde de cas de discrimination à la location à l'encontre des personnes âgées ?
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    halde © Halde
     Fabien Dechavanne : En effet, mais nous n'avons pris conscience de ce problème que très récemment. Il nous a fallu une dizaine de cas pour que l'on comprenne que l'âge était en cause. Nous regardions comme d'habitude au niveau des revenus : souvent les petites retraites nous faisaient croire qu'elles paraissaient trop faibles pour le propriétaire. Ensuite nous avons vu arriver des cas où les revenus étaient conséquents voire très conséquents... Mais là encore les premiers dossiers concernaient des personnes d'origine étrangère qui croyaient elles-mêmes avoir été victimes de discrimination du fait de celle-ci...
    Maison à part : Comment avez-vous su alors que l'âge était en cause ?
    F.D. : Des dossiers très spécifiques sont arrivés à nos bureaux. Le propriétaire ou l'agent immobilier mis en cause avait été très clair avec les victimes sur ce fait. C'est là où nous avons pris conscience que la loi Mermaz se retournait contre les personnes âgées. Nous avons découvert que c'était un grand classique. Une pratique massive que tout le monde connaît, mais qui se passe discrètement.
    Maison à part : Une loi protectrice des personnes âgées d'un côté, mais qui se retourne contre eux de l'autre : les voilà victimes de discrimination...
    F.B. : C'est tout l'aspect paradoxal de ce problème... Des agents immobiliers écartent de la candidature locative des personnes qui approche la "zone critique" des 70 ans : on a déjà vu des gens à qui des propriétaires avaient refusé la location à 65 ans ! Certains se voient même refuser le renouvellement de bail dès qu'ils s'approchent d'un certain âge, pour être sûr de ne pas avoir de problème ensuite !
    Maison à part : Ces personnes sont donc hors la loi...
    F.B. : Et c'est absurde ! C'est une méconnaissance de la loi ! L'article 15 de la loi Mermaz mis en cause précise des conditions d'âge et de ressources, tant pour le locataire que pour le propriétaire, venant nuancer ce principe de non expulsion. Ainsi pour le locataire, ses ressources doivent être "inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de croissance." Idem pour le propriétaire, s'il a plus de 60 ans et que ses ressources sont inférieures à une fois et demie le SMIC, il peut récupérer son logement.*
    Très clairement, refuser un bail à une personne âgée est une discrimination prohibée : le dispositif législatif se veut équilibré, il est compliqué certes, mais pas mauvais.
    Maison à part : Que faire si l'on est confronté à cela ?
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    halde © Halde
     F.B. : Il faut sensibiliser : informer de la loi, en faire la pédagogie et rappeler également le principe de solidarité national envers les personnes âgées. S'il y a persistance du problème, ne pas hésiter à saisir la Halde. Enfin, s'il y a suffisamment d'éléments de preuves, ces personnes doivent être sanctionnées.
    Maison à part : La Halde vient de lancer une grande campagne d'information sur la discrimination à la location**, allez-vous parler plus spécifiquement de ce sujet concernant les personnes âgées ?
    F.B. : Nous y travaillons. La Halde ne s'est pas encore prononcée là-dessus, mais il reste que cette pratique est discriminatoire et condamnable. Les dossiers sont récents, les enquêtes en cours. Nous avons notamment repris en main certains dossiers plus anciens... La Halde émettra sans doute une recommandation générale bientôt. Il nous a fallu trois ans pour trouver le problème, tellement il existe une vraie chape de plomb sur ce sujet. Les gens pourront se servir de ces recommandations générales pour appuyer leur démarche.
    Quant à Gisèle (son prénom a été changé), après avoir essuyé des refus de toutes parts, elle a enfin trouvé un logement à Paris, mais par le biais d'une connaissance...
    **Voir l'article sur Maison à part : Bien louer c'est louer sans discriminer !
    *Parce que "Nul n'est censé ignoré la loi", retrouvez l'intégralité de l'article 15 de la loi Mermaz en page suivante.
    Location et senior : la réalité d'une discrimination

    Article 15 de la Loi dite Mermaz sur les rapports locatifs

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    location louer © Fotolia
    Version en vigueur à la date de publication de l'article.
    "I. - Lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire.
    Le délai de préavis applicable au congé est de trois mois lorsqu'il émane du locataire et de six mois lorsqu'il émane du bailleur. Toutefois, en cas d'obtention d'un premier emploi, de mutation, de perte d'emploi ou de nouvel emploi consécutif à une perte d'emploi, le locataire peut donner congé au bailleur avec un délai de préavis d'un mois. Le délai est également réduit à un mois en faveur des locataires âgés de plus de soixante ans dont l'état de santé justifie un changement de domicile ainsi que des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion. Le congé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou signifié par acte d'huissier. Ce délai court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée ou de la signification de l'acte d'huissier.
    Pendant le délai de préavis, le locataire n'est redevable du loyer et des charges que pour le temps où il a occupé réellement les lieux si le congé a été notifié par le bailleur. Il est redevable du loyer et des charges concernant tout le délai de préavis si c'est lui qui a notifié le congé, sauf si le logement se trouve occupé avant la fin du préavis par un autre locataire en accord avec le bailleur.
    A l'expiration du délai de préavis, le locataire est déchu de tout titre d'occupation des locaux loués.
    II. - Lorsqu'il est fondé sur la décision de vendre le logement, le congé doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente projetée. Le congé vaut offre de vente au profit du locataire : l'offre est valable pendant les deux premiers mois du délai de préavis. Les dispositions de l'article 46 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ne sont pas applicables au congé fondé sur la décision de vendre le logement.
    A l'expiration du délai de préavis, le locataire qui n'a pas accepté l'offre de vente est déchu de plein droit de tout titre d'occupation sur le local.
    Le locataire qui accepte l'offre dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Le contrat de location est prorogé jusqu'à l'expiration du délai de réalisation de la vente. Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est nulle de plein droit et le locataire est déchu de plein droit de tout titre d'occupation.
    Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ces conditions et prix à peine de nullité de la vente. Cette notification est effectuée à l'adresse indiquée à cet effet par le locataire au bailleur ; si le locataire n'a pas fait connaître cette adresse au bailleur, la notification est effectuée à l'adresse des locaux dont la location avait été consentie. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Cette offre est valable pendant une durée d'un mois à compter de sa réception. L'offre qui n'a pas été acceptée dans le délai d'un mois est caduque.
    Le locataire qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur ou au notaire, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est nulle de plein droit.
    Les termes des cinq alinéas précédents sont reproduits à peine de nullité dans chaque notification.
    Ces dispositions ne sont pas applicables aux actes intervenant entre parents jusqu'au quatrième degré inclus, sous la condition que l'acquéreur occupe le logement pendant une durée qui ne peut être inférieure à deux ans à compter de l'expiration du délai de préavis, ni aux actes portant sur les immeubles mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 111-6-1 du code de la construction et de l'habitation.
    Dans les cas de congés pour vente prévus à l'article 11-1, l'offre de vente au profit du locataire est dissociée du congé. En outre, le non-respect de l'une des obligations relatives au congé pour vente d'un accord conclu en application de l'article 41 ter de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l'offre foncière, et rendu obligatoire par décret, donne lieu à l'annulation du congé.
    Est nul de plein droit le congé pour vente délivré au locataire en violation de l'engagement de prorogation des contrats de bail en cours, mentionné au premier alinéa du A du I de l'article 10-1 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation.
    III. Le bailleur ne peut s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante-dix ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de croissance, sans qu'un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée.
    Toutefois, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de croissance.
    L'âge du locataire et celui du bailleur sont appréciés à la date d'échéance du contrat ; le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé."
    Retrouvez l'intégralité de la loi Mermaz en cliquant sur ce lien.
    Source : Legifrance (www.legifrance.gouv.fr)
    Article 15 de la Loi dite Mermaz sur les rapports locatifs
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