Professions réglementées : artisans, architectes et professionnels de l'immobilier seraient dans le viseur de Bercy

    Publié le 15 juillet 2014 par Sébastien Chabas
    Pharmacien, huissier mais aussi architecte, notaire, peintre, plombier, serrurier, agent immobilier et donneurs d'ordres... Au total, 37 professions sont passées au crible dans un rapport confidentiel de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les professions réglementées dont Les Echos ont obtenu copie. Ce document commandé par le ministère de l'Economie et des Finances avance des propositions de réformes permettant une économie jusqu'à 20 %. Explications et réactions.
    Le récent rapport réalisé par l'Inspection générale des finances (IGF) sur les professions règlementées fait beaucoup parler de lui depuis quelques jours. Et pour cause, au total 37 professions réglementées* dont près d'une bonne dizaine dans le secteur de la construction et de l'immobilier - Notaire, Agent d'immobilier, Diagnostiqueur immobilier, Syndic d'immeuble, architecte, menuisier, peintre, vitrier, plâtrier, plombier, serrurier...- pourraient être dans le viseur de Bercy. Soupçonnées de profiter de leur monopole pour faire payer leurs services trop chers, ces professions pourraient ainsi être obligés de faire baisser leurs prix, jusqu'à 20 %, d'après une information rapportée par Les Echos, ce mardi 15 juillet.
    Ce document "explosif" de Bercy sur les professions réglementées, dont le quotidien économique dit avoir obtenu copie, est l'une des 30 mesures promises par Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, jeudi 10 juillet, pour "restituer 6 milliards d'euros aux Français".

    "De nombreuses professions sont en situation de monopole"

    La semaine dernière, en effet, au moment de présenter sa feuille de route pour le redressement du pays, Arnaud Montebourg avait détaillé ses objectifs : "de nombreuses professions sont en situation de monopole et captent par leur position des revenus à la population pour des services payés trop chers qui entament le pouvoir d'achat des ménages. C'est le cas des huissiers, greffiers des tribunaux de commerce, avocats, certaines professions de santé, et beaucoup d'autres secteurs réglementés : auto-écoles, prothésistes dentaires dans lesquels une baisse des prix des services est nécessaire."
    "Le rapport a d'abord cherché à savoir si ces professions bénéficiaient bien de rentes particulières. Si l'on en juge par leur niveau de rentabilité, la question ne fait pas de doute. Leur bénéfice net avant impôt représente en moyenne 19% de leur chiffre d'affaires, soit 2,4 fois la rentabilité constatée dans le reste de l'économie", écrit le journal.
    Sur 100 euros (Ndlr : hors taxe) versés par le consommateur, un notaire réalise en moyenne un bénéfice net de 37 euros, un agent immobilier, près de 19 euros et un architecte, pas moins de 16 euros.
    Contrairement à ce qui a été annoncé le journal Les Echos au sujet du montant de l'huissier (43 euros), le ministère du Redressement productif dément ce chiffre. D'ailleurs, les métiers concernés ont un taux de défaillance de 0,8% contre une moyenne nationale de 1,4%.
    Le ministère du Redressement productif s'engage à rendre public le rapport
    Sur 2000-2010, le bénéfice des 37 professions réglementées a progressé d'après Les Echos, de 46 % et leur valeur ajoutée de 53,7 %, alors que le Produit intérieur brut augmentait de 34,6 %. "Il est intéressant de noter que malgré ces très bons indicateurs sectoriels et en l'absence de toute concurrence internationale, les 37 professions concernées ont touché 1,7 milliard d'euros de crédit d'impôt compétitivité et emploi"(CICE), commente le journal. Le CICE doit représenter un total de 20 milliards d'euros par an lorsqu'il aura atteint sa vitesse de croisière.
    Enfin le service au client "est sérieusement remis en cause par les utilisateurs", d'après un sondage réalisé par l'IGF, rapporte également le quotidien.
    Le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg s'est "engagé à rendre ce rapport public le moment venu", nous a signalé le ministère du Redressement productif, mardi 15 juillet en précisant que certains chiffres cités par l'article ne correspondaient pas à ceux du rapport. "Le rapport que j'ai trouvé enfermé à triple tour dans mon coffre-fort, je le rendrai public le moment venu afin de créer la transparence en ouvrant le débat devant l'opinion publique", a déclaré le ministre en début de semaine. L'Autorité de la concurrence s'est saisie ces jours-ci du dossier. A suivre.
    *D'après la Commission européenne, cela concerne les professions dont l'accès et l'exercice sont subordonnés "directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées".

    Quand parle-t-on de monopole ?

    "Certaines professions réglementées disposent d'un monopole légal, nous décrypte l'UPA. Il y a par exemple le monopole des greffiers des tribunaux de commerce sur la gestion des données et des actes relatifs aux registres légaux. Ou encore celui des notaires sur la rédaction des actes soumis à publicité foncière. Mais aussi celui des huissiers de justice sur la signification des actes de procédure et décisions de justice. C'est pourquoi, on le répète, les artisans ne constituent pas un monopole."
    Découvrez les réactions des professionnels de la construction et de l'immobilier.
    Professions réglementées : artisans, architectes et professionnels de l'immobilier seraient dans le viseur de Bercy

    Les professionnels réagissent

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    D'après Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la Simplification, interrogé sur i>TELE il y a "des professions réglementées qui rendent un service réel à la population, les pharmaciens par exemple. En revanche, il y a d'autres professions - vous avez cité les huissiers et les notaires - où il y a des questions à se poser". Et d'ajouter : "Il ne s'agit pas de les empêcher de vivre. Mais ils doivent comprendre qu'au moment où toute la nation fait des efforts, ils peuvent en faire aussi un peu (...) Plusieurs options sont possibles, notamment réintroduire un peu de concurrence car c'est la concurrence qui fait baisser les prix. Sur ces métiers-là, très encadrés, c'est peut-être la voie à utiliser..."
    Pierre Burban, secrétaire général de l'UPA précise à Batiactu que le "mélange des professions" rend le rapport peu crédible. "Quel amalgame ! On mélange tout, c'est du grand n'importe quoi. Cela ressemble fortement à ce qui avait été proposé par Jacques Attali en 2008. Comment peut-on comparer la profession de notaire et d'huissier avec celle des artisans cités ? Les notaires ou huissiers s'acquittent d'une charge pour s'installer contrairement aux artisans. Il n'y a aucune démonstration prouvant que ces professions d'artisans constituent un monopole."
    Patrick Liébus, président de la Capeb, ne comprend pas non plus pourquoi le rapport de l'IGF mentionne les professions de peintre, vitrier, plombier, serrurier et enfin plâtrier comme professions réglementées. "Quel rapport existe-t-il entre un notaire et nous artisans ? Il touche notamment au bien. J'ai contacté à deux reprises Bercy, j'attends des précisions", nous confie-t-il.
    Michel Chassang, président de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), qui fédère 64 organisations syndicales des professions de la Santé, du Droit, du Cadre de vie réagit à Batiactu : "On s'oppose de façon très déterminée à ce document nauséabond, un procédé qui consiste à laisser penser que le monopole de certaines professions, en particulier les Huissiers de justice, les avocats, les greffiers des tribunaux et certaines professions de santé serait responsable du défaut de croissance de notre pays et de la perte de pouvoir d'achat des français. Les termes méprisants employés par le ministre à l'égard de ces professions désignées 'boucs-émissaires' et accusées de 'capter les revenus des Français' sont inacceptables. (...) Les professions réglementées obéissent à des règles déontologiques, lesquelles d'ailleurs proscrivent le recours à la publicité. Ensuite, certaines d'entre elles assument des missions de service public, et d'autres, lorsqu'elles sont conventionnées, pratiquent des tarifs administrés, excluant la concurrence par le prix que voudrait stimuler la future loi."
    "Dumping des honoraires, la ligne blanche est-elle franchie ?, s'inquiète Pierre Mit, président de l'Union nationale des économistes de la construction (UNTEC), au sujet des prix tirés à la baisse des prestations intellectuelles dans la construction. "Qui des deux est le plus irresponsable ? Qui des deux est au bord du gouffre ? Ces deux, qui sont-ils : le maître d'ouvrage, le maître d'œuvre.L'un achète un prix, l'autre vend à vil prix pour survivre. Quelle raison a-t-il celui qui répond à la commande et qui sait sciemment que la prévision ne couvrira pas les moyens à mobiliser ?" Et de conclure : "Les deux se voilent la face, mais au final : l'un aura une prestation à la hauteur des sommes engagées, mais l'autre creuse sa tombe de ses propres mains. Cela va t'il durer encore longtemps ?"
    Marie-Françoise Manière, président de l'UNSFA, ne croit pas que la profession d'architecte puisse être visée par ce rapport de l'Inspection générale des finances (IGF). "La création architecturale relevant de l'intérêt public (Ndlr : loi sur l'architecture de 1977), l'Etat en confie la conception et la production à des acteurs dument formés et identifiés que sont les architectes", explique-t-elle à Batiactu. La réglementation de cette profession ne relève pas d'un privilège mais d'une obligation relevant de l'intérêt général. Pour ce qui est de l'aspect économique de cette profession, il est utile de rappeler que depuis deux ans, le revenu moyen des architectes employeurs est inférieur à celui de leurs salariés. Il est également utile de rappeler que les architectes relèvent de l'économie de marché, que les barèmes de rémunération sont interdits et que les architectes français sont soumis à une forte concurrence tant nationale qu'internationale."
    Jacky Chapelot, président adjoint de la FNAIM, signale à Batiactu que les trois professions du secteur de l'immobilier - agent d'immobilier, diagnostiqueur immobilier et syndic d'immeubles- sont très très surprises d'être mentionnées dans le journal Les Echos. "On représente des professions commerciales soumises à une totale activité concurrentielle et on ne fait pas l'objet de monopole, indique Jacky Chapelot. La liberté d'installation est totale et nous ne sommes pas des huissiers. Pour rappel : près de 2 locations sur 3 s'opèrent de particulier à particulier sans passer par un professionnel. Nous sommes également surpris de ces recommandations d'autant plus que la loi ALUR vient d'engager un programme de réglementation à l'encontre de nos professions."
    En revanche, l'association des consommateurs (CLCV), demande dans un communiqué la mise en place d'une réforme rapide visant à faire baisser le prix de ces services qui sont pour le consommateur des dépenses contraintes : "Déjà préconisée, notamment par la commission Attali en 2008, cette réforme est aujourd'hui indispensable (...) Il n'est évidemment pas question de remettre en cause le niveau d'exigence de ces professions. Mais dans une période où le pouvoir d'achat est de plus en plus mis à rude épreuve, un tel niveau de rentabilité n'est plus tenable pas plus qu'il n'est justifiable. En outre, ces professions vont bénéficier de réduction de charges liées au Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) alors qu'elles sont à l'abri de la concurrence internationale."
    Jean Tarrade, président du Conseil Supérieur du Notariat (CNS) met en garde Arnaud Montebourg au micro de RMC-BFMTV: "Nous sommes une profession réglementée qui obéit à des règles pour défendre l'intérêt du public. (...) Nous sommes des officiers de l'Etat avec un code de déontologie. Nous n'avons pas le monopole et nous allons rencontrer l'Autorité de la concurrence avec beaucoup de sérénité pour montrer l'utilité de nos tarifs. En effet, le tarif date de 1978 et on est prêt à modifier notre tarif."
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