A la recherche du "temps juste" par Guillaume Poitrinal, dirigeant d'Unibail-Rodamco

    Publié le 28 juin 2012 par Pauline Polgar
    Guillaume Poitrinal, dirigeant d'Unibail-Rodamco, le leader européen de l'immobilier commercial, signe un réquisitoire contre le temps perdu. Plus vite, la France malade de son temps, aux éditions Grasset, entend démontrer qu'il est urgent de retrouver le "temps juste" et de l'utiliser pour ce qu'il est : un formidable levier de croissance. Rencontre.
    Ne perdons pas de temps : Plus vite, la France malade de son temps est un essai à cent à l'heure qui dit tout haut, ce qui se dit beaucoup. Rome ne s'est pas faite en un jour, soit. Mais attendre systématiquement huit, dix, voire quinze ans, pour qu'un projet puisse sortir de terre ?
    Seulement voilà. L'auteur est Guillaume Poitrinal. Il dirige Unibail-Rodamco, l'un des groupes les plus discrets du Cac 40, qui gagne - et investit - des milliards dans l'immobilier commercial et compte, entre autres, 71 centres commerciaux et 425.000 m2 de bureaux. Alors... L'homme est-il sincère dans sa dénonciation de la complexité administrative et de la lourdeur judiciaire hexagonales ? Certains, forcément, n'y voient qu'un Crésus jouant la victime pour servir ses propres intérêts... Ces critiques, Guillaume Poitrinal les balaie d'un revers de main : "Tout d'abord, si cela ne touchait que nous, je n'aurais jamais écrit ce livre, nous confie-t-il. Et ensuite, j'assume ma vision de grand témoin." Chez les boulangers, les exploitants de cinéma, les agriculteurs... la lenteur se répand dans tous les secteurs d'activité. Et il dénonce cette maladie du temps long "aveugle, aussi impitoyable avec la sphère privée qu'avec la sphère publique, aussi systématique avec les petits qu'avec les grands projets."

    Avec le temps va, tout s'en va

    Un centre commercial, un espace de congrès, une tour de bureaux ? "Il faut dorénavant compter en moyenne entre dix à quinze ans pour le livrer clés en main. Cela va respectivement deux, trois et cinq fois plus vite ailleurs en Europe, aux États-Unis et en Chine." Une étable ? "Un acte aussi simple (...) relève aujourd'hui du parcours du combattant (...)" et prend "deux fois plus" de temps qu'il y a vingt ans. A l'appui de son réquisitoire, il multiplie les exemples : dix-huit ans pour que le projet du centre commercial du Millénaire sorte de terre, quarante pour boucler l'A86, etc. Sans compter les projets abandonnés : l'île Seguin ou la Gare d'Auteuil cumulent ainsi respectivement vingt et vingt-sept ans de friches...
    C'est bien là tout le paradoxe français : lois et règlements se multiplient à vitesse grand V, s'entrechoquent, se mêlent, se contredisent même parfois... et allongent d'autant le temps de l'action. Notre secteur est l'un des plus touchés. Le code de l'urbanisme comptait ainsi 1.138 pages en 1992, 3.031 en 2011. Sans oublier que, selon le rapport Doligé cité par l'auteur, les dispositions concernant la construction et le bâtiment sont réparties dans onze codes différents, pas moins !
    La suite en page suivante : "Bientôt il nous faudra une camionnette pour transporter l'ADN administratif d'un projet"
    Couverture du livre Guillaume Poitrinal
    Couverture du livre Guillaume Poitrinal © Ed. Grasset
     Verbatim
    "Le temps juste, ce n'est ni la dictature du présent dans laquelle nous vivons, avec nos précipitations et nos gesticulations, ni le temps abandonné de nos procédures administratives et judiciaires. Le temps juste c'est de pouvoir construire un bel équipement collectif, modèle d'architecture et de développement durable, en quatre ans au lieu de quinze, dans une France apaisée où chacun pourrait préserver des moments de pause et de déconnexion."
    A la recherche du "temps juste" par Guillaume Poitrinal, dirigeant d'Unibail-Rodamco

    "Il y a urgence !"

    Guillaume Poitrinal Unibail Rodamco
    Guillaume Poitrinal Unibail Rodamco © ph. Michel Labelle
    "Bientôt il nous faudra une camionnette pour transporter l'ADN administratif d'un projet"
    "Nous sommes arrivés à un état extraordinaire d'accumulation de normes, nous déclare le dirigeant d'Unibail-Rodemco. Et, aujourd'hui, s'ajoute le fait que dans le terreau de la décentralisation, naît une démultiplication des autorités, et donc des décideurs..." Et des commissions. Dans son essai, il explique : "C'est la réponse française à tous les enjeux modernes (sécurité, écologie, etc.) passés à la moulinette du principe de précaution". Mais est-ce un mal ? Oui, lorsque cela en devient ubuesque. Surtout, insiste-t-il encore lors de notre rencontre, "Personne n'a imaginé ce processus décisionnel sous le prisme du temps, personne n'a dressé le bilan coût/avantage de ces mesures, personne n'a évalué ni chiffré les dommages liés à la perte du temps." Et d'ajouter : "Nous sommes capables d'apporter une réponse intelligente sans baisser les exigences, il suffit juste de repenser l'application des normes." Il y a urgence, car les "perdants" se multiplient et en premier lieu, la croissance, "sacrifiée" sur l'autel du temps. "Le PIB n'est qu'un ratio : au numérateur, la production de biens et services ; au dénominateur, la durée. En clair, si la France produisait en 355 jours ce qu'elle réalise en 365, elle renouerait de facto avec une croissance de 3%".
    La crise est là. Il est donc grand temps de prendre les choses en main et de mener une "revue générale du temps public", à l'image de celle réalisée pour les dépenses publiques.
    Guillaume Poitrinal a d'ailleurs le sentiment que les consciences se réveillent, nous confie-t-il : du côté des élus "qui s'aperçoivent qu'ils ne sont plus capables de livrer leurs programmes dans le temps de leur mandature" ou encore des Français eux-mêmes, "qui sont aussi en attente, notamment quand ils voient des sites à l'abandon".

    "Yes, we can"

    Même les recours en justice contre les projets sont plus "matures". "Mais il faut juste désormais que l'appareil politique et juridique s'interroge sur le workflow..." Le changement est-il maintenant ? "La lenteur n'est ni de droite, ni de gauche, comme le bon sens." Il y a donc un espoir nous confirme cet "optimiste de nature".
    Outre la "revue du temps public", il propose d'ailleurs plusieurs solutions : en matière judiciaire, par exemple, pourquoi ne pas créer une chambre spécialisée pour les questions d'urbanisme ? Aujourd'hui, "Un dossier immobilier n'est jamais un dossier urgent pour le tribunal qui ne voit pas de grand impératif social derrière ces projets". Il faudrait également "généraliser les annulations partielles, suggère-t-il, le promoteur obtiendrait son permis sous réserve de corriger dans un délai imparti la ou les parties non conformes. Ce faisant on ne bloquerait pas un chantier colossal pour une infime contestation".
    Aller vite, enfin, ne veut pas dire aller trop vite. A Gilles Finchelstein et Matthieu Pigasse qui, dans Le Monde d'après. Une crise sans précédent, réclamaient "l'urgence est de sortir de la dictature de l'urgence ; l'urgence est de retrouver le temps long", Guillaume Poitrinal répond ainsi que "la question [lui] semble bien davantage de retrouver le 'temps juste' (...) celui de l'équilibre. Avec la vitesse qui s'imposerait quand elle doit s'imposer, par exemple pour la résolution de nos urgences sociales et environnementales et la restauration de notre compétitivité. Mais avec une place égale pour le temps lent : celui de la réflexion, de la création, de la culture, de la famille".
    Guillaume Poitrinal, Plus vite, la France malade de son temps, essai, coll. Petite Blanche, Grasset, 2012. 10€, prix éditeur.
    "Il y a urgence !"
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