Depuis sa fondation en 1475, en Haute-Saône, cette entreprise a su traverser les siècles en préservant un héritage unique, façonné par des générations de maîtres verriers et souffleurs de verre. Cet anniversaire est bien plus qu'une simple commémoration, il incarne la pérennité d'un savoir-faire exceptionnel. C'est en Bourgogne-Franche-Comté au 15ème siècle, que Simon de Thysac, artisan verrier, pose ses valises dans le massif vosgien et crée la manufacture. A l'époque, cette région de France était un axe de commerce entre le Nord et le Sud, les Pays-Bas et l'Italie notamment. Située à la lisière de la forêt, la localisation était idéale pour puiser les matières premières nécessaires à la fabrication du verre : le sable, les cendres de fougères qui servaient à fabriquer la potasse et surtout le bois pour alimenter les fours de fusion. Aujourd'hui les matières premières utilisées sont à plus de 90% sourcées en France ; le sable qui constitue 60% de la composition du verre provient de Fontainebleau. La verrerie a su traverser les siècles en préservant l'authenticité de son artisanat et en intégrant des technologies modernes. Son histoire a connu de nombreux rebondissements : incendies, guerre de Trente Ans, changements de propriétaires, innovations... L'entreprise a réussi à conserver une production artisanale avec le cristallin soufflé-bouche. En effet, quatre maîtres verriers travaillent encore aujourd'hui la matière en fusion et façonnent le verre. Ils étaient 200 en 1965. Le site est ouvert au public et attire chaque année plus de 60.000 visiteurs, faisant de la verrerie La Rochère le site industriel le plus visité de Haute-Saône. Face à la concurrence des pays de l'Est, qui a profondément transformé le métier, La Rochère a pris l'audacieuse décision, en 1967, d'automatiser sa production, transformant ainsi ses presses manuelles en presses automatiques.

Un savoir-faire au service de la table, de l'art et de l'architecture

En diversifiant son activité, La Rochère est devenue spécialiste du verre pressé. La spécificité de son procédé de fabrication, hérité de gestes artisanaux, donne à ses verres du quotidien un caractère singulier. "Notre mission est de créer des produits intemporels qui lient le style et la résistance. Puisant leur inspiration dans nos archives et dans notre art de vivre français, nos designers travaillent à habiller les tables du quotidien contemporaines, grâce à des créations uniques, dont certaines sont devenues emblématiques comme le verre Abeille sorti en 1996", déclare Nicolas Bigot, directeur commercial arts de la table de La Rochère. Depuis 2014, La Rochère est labelisée "Entreprise du Patrimoine Vivant". A La Rochère, le feu ne s'éteint jamais. En effet, le four tourne sans relâche, 7 jours sur 7, jour et nuit, toute l'année. Grâce à cette énergie constante, les lignes industrielles fabriquent environ 30.000 verres chaque jour, soit l'équivalent de 33 tonnes de verre pressé. La Rochère déploie son activité sur un site de 10.000 m² et emploie actuellement 95 salariés auxquels s'ajoutent 20 intérimaires. Si l'art de la table reste au cœur de son activité avec 65 % de son chiffre d'affaires (12,8 M€ en 2024), l'entreprise rayonne également dans l'architecture du verre (30 % du CA). C'est d'ailleurs en 1870 que La Rochère fabrique la première tuile de verre au monde. Cette création répond alors aux besoins d'éclairage des sous toitures que rencontrent les tuileries du village de Passavant-la-Rochère. La gamme architecture sera très vite complétée par les briques de verre et les pavés de sol. "Aujourd'hui, nous accompagnons des projets d'envergure dans toute l'Europe avec des architectes de renom comme Le Corbusier (Cité du Refuge) ou encore Patrick Berger et Jacques Anziutti (station de métro Châtelet Les Halles)", indique Eric Zannoni, directeur commercial architecture du verre.

Une stratégie d'investissement ambitieuse

Détenue par la famille Giraud pendant six générations depuis 1858, La Rochère a intégré en 2021 la holding Tourres & Cie, une autre lignée de verriers enracinée en Normandie depuis le XIXe siècle. Déjà à la tête de la verrerie Waltersperger - spécialiste du flaconnage de luxe et des spiritueux, rachetée en 2017 - la famille Tourres fait entrer La Rochère dans une nouvelle dynamique. Depuis quatre ans, la manufacture explore le secteur du luxe, notamment avec la création de contenants à bougie pour la maison Céline. Grâce à cette alliance, les passerelles entre l'art verrier traditionnel et les exigences du haut de gamme ne cessent de se renforcer. Sur les trois dernières années, La Rochère a alloué une enveloppe financière d'environ 4 millions d'euros pour plusieurs investissements. Celle-ci comprend principalement la rénovation du four électrique pour améliorer son efficacité énergétique ainsi que l'installation, en ce début d'année, d'une nouvelle ligne de production dédiée à la fabrication de petits produits pressés, principalement destinés au marché du sur-mesure et du luxe (5% du CA). "L'investissement le plus important est l'acquisition d'une nouvelle ligne de production. Celle-ci nous permettra de fabriquer pour la première fois des produits de 20 à 150 grammes et représente un véritable saut technologique. Elle nous ouvre la voie vers la production d'objets d'exception, tels que des bouchons ou capots de flacons de parfums sur-mesure pour des marques prestigieuses, renforçant ainsi l'image de notre marque sur son marché traditionnel ainsi que sur le segment émergent du luxe", explique Gilles Ambs, président de La Rochère. En 2025, l'enveloppe reste conséquente avec le renouvellement et l'acquisition de nouveaux outils pour la fabrication de nouveaux produits. Une partie sera consacrée à l'adaptation d'une ligne de fabrication dédiée à un produit innovant dans le domaine de l'architecture du verre.