Comment en arrive-t-on à l'expulsion de son logement?

    Publié le 12 mars 2012 par Yasmina Bennaceur
    Le 15 mars sonnera la fin de la trêve hivernale des expulsions locatives et donc, la reprise de la possibilité d'expulser les personnes en situation d'impayés. Pour comprendre les causes de l'échec des dispositifs de prévention, l'Anil a réalisé une enquête sur le parcours des expulsés. Aveu d'un échec.
    En 2010, en France métropolitaine et en Corse, près de 107.000 décisions de justice ont été prononcées sur les demandes d'expulsion pour impayés de loyer et ce nombre ne cesse d'augmenter.
    Sans surprise, c'est dans les territoires où sont localisées les villes les plus chères et les plus attractives que les expulsions sont importantes : agglomération parisienne, Côte d'Azur, Haute-Savoie mais, aussi Marseille, Lyon, Toulouse et Montpellier.
    En France les dispositifs de prévention des expulsions mobilisent de nombreux acteurs, notamment depuis la mise en place récente des Ccapex (voir encadré). Pourtant, pour beaucoup de ménages, ces protections n'ont pas fonctionné et ces derniers ont finalement été expulsés par la force publique.
    S'interrogeant sur les causes de l'échec des dispositifs de prévention, l'ANIL (agence nationale d'information sur le logement) a initié, fin 2011, une enquête en collaboration avec quinze Adil (agences départementales) réparties sur tout le territoire français et pilotée par l'Adil du Gard. Ainsi, cent ménages expulsés de leur logement, tous types de profils confondus, ont été interrogés.

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    Les Ccapex
    Mises en place en 2010, les Ccapex (Commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives) ont pour objectif de se substituer aux commissions d'expulsion et de renforcer la coordination de toutes les instances susceptibles de venir en aide au locataire en difficulté.
    Bien qu'elles existent formellement - leurs secrétariats sont assurés par l'Etat et leur composition a été définie pour chacune d'entre elles - ces commissions réfléchissent encore actuellement à définir un mode d'action qui diverge fortement d'un département à l'autre. "L'absence d'une véritable phase d'instruction préalable des dossiers constitue l'une des principales faiblesses des Ccapex", analyse Nicole Maury, chargée de mission sur le logement des personnes défavorisées à l'Anil. Et d'ajouter : "Les réunions consistent souvent à mettre en commun les informations dont disposent les divers participants à propos d'un même dossier, mais se limitent à renvoyer le dossier vers le service social. Dès lors, la commission est dans l'impossibilité de rendre un avis ou une recommandation efficace".
    L'Anil a fait un certain nombre de suggestions, envoyées au ministère du Logement afin de rendre les Ccapex plus efficaces et permettre une réelle prévention des risques d'expulsion. "Nous sommes en période électorale et rien ne bougera pour l'instant. Nous y reviendrons après les élections, pour essayer d'harmoniser le fonctionnement de ces commissions.", conclut Nicole Maury.
    Comment en arrive-t-on à l'expulsion de son logement?

    Une dégradation évolutive

    Expulsions locatives / Adil
    Expulsions locatives / Adil © François Verspeeten
    Pour la moitié des ménages enquêtés, le montant de l'impayé (hors aide au logement) se situait entre 2.000 et 5.000 €. Dans la plupart des cas, l'impayé à l'origine de la procédure d'expulsion est survenu plus de deux ans après la signature du bail.
    L'enquête révèle que c'est un cumul de difficultés bouleversantes qui a engendré l'expulsion (séparation, perte d'emploi, maladie, diminution de revenus, décès d'un proche ...). A ces drames, se sont ajoutées des difficultés financières. Les questions d'impayés ne sont alors qu'un problème parmi d'autres et les personnes, qui ne réalisent pas les conséquences à venir, ne se mobilisent pas pour solliciter les dispositifs d'aide.
    Au moment de l'impayé, pour près de la moitié des ménages, la part des revenus consacrés au loyer est supérieure à 50%. A ce stade, qui apparaît comme décisif, les enquêtes sociales, qui devraient permettre un accompagnement adéquat, sont souvent faibles ou inexistantes. De fait, les propositions d'échéanciers - proposées par les ménages eux-mêmes et souvent incohérentes avec leur situation - sont acceptés par les juges qui ne disposent pas de tous les éléments pour mesurer objectivement leur possibilités.

    Méconnaissance des droits et découragement

    Les nombreux témoignages font clairement apparaître que les ménages menacés d'expulsion méconnaissent leurs droits et les moyens de les faire appliquer. La difficulté de réagir s'explique d'une part, par la souffrance psychologique due à des événements douloureux et, d'autre part, par une lassitude due à la profusion d'informations qui leur sont envoyées par courrier. Ces lettres sont en effet perçues comme un harcèlement et découragent la lecture.
    Par ailleurs, les témoignages révèlent que souvent, lorsqu'elles travaillaient, le statut professionnel ou la situation économique de ces personnes (artisan, auto-entrepreneur...) ne leur permettait pas de bénéficier de prestations sociales. Quand les difficultés ont commencé à venir, elles n'ont pas fait valoir leur droit, notamment l'aide au logement. L'absence totale de contact avec les services sociaux va alors retarder la mise en œuvre d'une solution viable (aide financière pour garder le logement ou pour se reloger) et conduire à de mauvais choix.
    Les enfants vont également influer sur les priorités (santé, alimentation...) et reléguer le paiement du loyer au second, voire au dernier plan. Et lorsque le relogement, seule solution viable, est évoquée, sa réalisation est retardée car les parents ne veulent pas perturber la scolarité des enfants. Pour autant, la plupart ont bien conscience de la nécessité de partir. Les difficultés à se reloger et les problèmes financiers les rendent, malgré eux, captifs du logement dont ils seront, au final, expulsés.
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    Une dégradation évolutive

    Des dispositifs de prévention qui échouent

    Des dispositifs de prévention qui échouent - Expulsions locatives / Adil
    Des dispositifs de prévention qui échouent - Expulsions locatives / Adil © François Verspeeten
    Les Fonds de solidarité Logement (FSL) sont au cœur de tous les dispositifs de prévention des expulsions, leurs coordonnées figurent d'ailleurs obligatoirement sur le commandement de payer. Pourtant, ils semblent presque systématiquement avoir été refusés aux ménages enquêtés. Les FSL privilégient en effet la stratégie d'abandon de la piste "maintien dans le logement" pour se concentrer sur l'axe "recherche d'un nouveau logement".
    Paradoxalement, alors que la situation de ces personnes leur permet de saisir la commission de médiation du Dalo*, celui-ci n'intervient quasiment jamais dans le relogement au titre de la menace d'expulsion. Il n'arrive qu'après l'expulsion, et pour d'autres motivations (personnes dépourvues de logement, hébergées ou encore logées dans des locaux insalubres...).
    Agir, dès les premiers incidents d'impayé, en proposant un relogement, apparaît donc comme la seule solution pour sortir les ménages de leurs difficultés. Or, l'enquête réalisée révèle l'échec des dispositifs de prévention mis en place, en raison, principalement, d'un manque de coordination total entre les différents acteurs de ces dispositifs.
    Dans de nombreux départements, ceux qui interviennent dans le cadre de prévention des expulsions observent une dispersion des opérateurs (CAF, FSL et associations diverses) et des systèmes d'aides, ainsi qu'un cloisonnement des informations, que ces mêmes opérateurs justifient, en partie, par le secret professionnel auquel ils sont soumis.
    Les expulsions locatives faisant plus que jamais partie de l'actualité, une mobilisation, organisée par la Confédération nationale du logement (CNL) a eu lieu samedi 10 mars, à Paris mais également sur tout le territoire.
    * Toute personne qui a effectué une demande de logement et qui n'a pas reçu de proposition adaptée ses besoins et capacités peut saisir une commission de médiation dans son département, puis exercer, dans certains cas, un recours devant le tribunal administratif au titre du droit au logement opposable (Dalo).
    Sur son site www.fondation-abbe-pierre.fr, la Fondation Abbé Pierre met à disposition un numéro de téléphone "Allo Prévention Expulsion" : 0810 001 505.
    Par ailleurs, le RéSEL (Réseau stop aux expulsions de logement) www.stopauxexpulsions.org, se mobilise pour rompre l'isolement des personnes menacées d'expulsion et appelle à la création, partout en France, de réseaux de solidarité "Stop aux Expulsions de Logement" composés d'amis, voisins, parents d'élèves ou collègues.
    Des dispositifs de prévention qui échouent
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