g Dans les coulisses d'un hôtel particulier parisien, entre mystère et illusions
 

    Dans les coulisses d'un hôtel particulier parisien, entre mystère et illusions

    Publié le 9 avril 2015 par Rouba Naaman-Beauvais
    Il a connu le XVIIe siècle, la Révolution et Baudelaire. L'hôtel de Lauzun est à la fois un joyau de l'architecture de l'Île-Saint-Louis et un témoin de l'histoire de Paris. Maison à part a pu visiter cet hôtel particulier éblouissant en compagnie de son gardien, Raymond Boulharès, auteur d'un livre sur la demeure.
    "L'hôtel des hypothèses". C'est ainsi que Raymond Boulharès, agent logistique général chargé du gardiennage de l'hôtel de Lauzun, aime à appeler la maison qui l'a vu grandir. Nichée au coeur de l'Île-Saint-Louis, la demeure est un témoignage éblouissant de l'histoire de Paris. Parmi ses occupants les plus célèbres, on note Théophile Gauthier ou encore Charles Baudelaire, qui y aurait même écrit Les fleurs du mal.
    Mais le lieu est surtout un véritable casse-tête : les propriétaires successifs ont tant transformé cet hôtel particulier, qu'il est devenu quasi impossible de définir les éléments datant de l'époque de sa construction (aux alentours de 1660) de ceux qui ont été ajoutés plusieurs siècles plus tard. Un mystère que lève, en partie, un ouvrage* consacré à l'hôtel de Lauzun.
    Visite guidée de l'hôtel de Lauzun, en compagnie de son gardien Raymond Boulharès, en pages suivantes.
    * L'hôtel de Lauzun, par Raymond Boulharès et Marc Soléranski, éditions Artelia (détails page suivante).
    Dans les coulisses d'un hôtel particulier parisien, entre mystère et illusions

    L'hôtel des illusions dévoile ses secrets

    Hôtel de Lauzun : façade et porte d'entrée
    Hôtel de Lauzun : façade et porte d'entrée © RNB / MAP
    A l'hôtel de Lauzun, les illusions sont monnaie courantes. Elles commencent dès la porte d'entrée, qui donne sur le quai d'Anjou. Ce panneau semble d'époque, mais en réalité, il a été ajouté au XXe par le nouveau propriétaire des lieux, le baron Louis Pichon.
    "Une addition postérieure qui explique la faute d'orthographe dans le nom de l'hôtel [S au lieu de Z, ndlr] et l'erreur dans la date de construction", nous expliquent Raymond Boulharès et Marc Soléranski, qui ont pu définir que la demeure n'avait pas été achevée avant 1660. De plus, le nom de Lauzun n'a été donné que bien après à l'hôtel.
    Louis Pichon a également fait poser les descentes d'eau en forme de dauphin (ici, à droite de la porte).
    L'hôtel des illusions dévoile ses secrets

    Le nom de l'architecte de l'hôtel de Lauzun fait débat

    Hôtel de Lauzun : détail de la façade
    Hôtel de Lauzun : détail de la façade © Simon Bourcier
    La maîtrise d'œuvre de l'hôtel particulier a longtemps été attribuée à Louis Le Vau, artisan de plusieurs hôtels particuliers sur l'Île-Saint-Louis et du Château de Versailles. Pourtant, les auteurs ont découvert plusieurs documents évoquant le nom d'un autre architecte, Charles Chamois. Le mystère reste donc entier.
    Les balcons ont, quant à eux, été restaurés en 2001, rendant tout son faste à l'hôtel. "Pendant la Seconde Guerre mondiale, la façade était noircie et les ferronneries avaient perdu leurs dorures, c'est pourquoi les occupants se sont désintéressés de l'hôtel de Lauzun", nous raconte Marc Soléranski.
    Le nom de l'architecte de l'hôtel de Lauzun fait débat

    Une cour centrale typique des hôtels particuliers

    Hôtel de Lauzun : cour intérieure
    Hôtel de Lauzun : cour intérieure © Simon Bourcier
    Comme la plupart des hôtels particuliers parisiens, l'hôtel de Lauzun est conçu autour d'une cour. "Sous les arcades, était située l'ancienne remise des carrosses", décrit Marc Soléranski. Lorsque l'hôtel particulier est acheté par Jérôme Pichon, qui le loue à la découpe, ce sont des antiquaires et des teinturiers qui s'installent au rez-de-chaussée.
    Aujourd'hui, l'on y trouve les bureaux du responsable de l'Institut des études appliquées, un centre de recherche qui loue deux ailes de la demeure à la Mairie de Paris, propriétaire du lieu depuis 1928.
    Une cour centrale typique des hôtels particuliers

    Un monogramme, signature du premier propriétaire, pour décorer les placards

    Hôtel de Lauzun : cabinet dit "bibliothèque"
    Hôtel de Lauzun : cabinet dit "bibliothèque" © RNB / MAP
    C'est un certain Charles Gruÿn, fils de cabaretier devenu très riche, qui, désireux d'acquérir un titre de noblesse, achète plusieurs terrains, parmi lesquels une parcelle sur l'Île-Saint-Louis. Devenu le Sieur Gruÿn des Bordes, et remarié à Geneviève de Moÿ, il fait construire l'hôtel particulier pour sa dulcinée, à partir de 1641. En témoigne, les lettres G et M entrelacées dans un monogramme qui orne les portes des placards du cabinet dit "bibliothèque", au premier étage de la demeure.
    Un monogramme, signature du premier propriétaire, pour décorer les placards

    A l'hôtel de Lauzun, la valse des propriétaires

    A l'hôtel de Lauzun, la valse des propriétaires - Hôtel de Lauzun : cabinet dit "bibliothèque"
    A l'hôtel de Lauzun, la valse des propriétaires - Hôtel de Lauzun : cabinet dit "bibliothèque" © RNB / MAP
    A partir de 1682, l'hôtel particulier connaît de nombreux propriétaires. Le comte de Lauzun n'y habite que trois ans et, pourtant, il laisse son nom à la demeure. Se succèdent ensuite les acquéreurs qui, chacun, installent leurs portraits de famille aux murs... et les retirent en partant ! "Si bien que, lorsque le baron Jérôme Pichon achète la maison en 1842, il entreprend de combler les vides pour redorer le blason de l'hôtel, en utilisant plusieurs supercheries", explique Marc Soléranski. A découvrir en pages suivantes...
    A l'hôtel de Lauzun, la valse des propriétaires

    Des peintures déplacées de pièces en pièces

    Hôtel de Lauzun : chambre à alcôve
    Hôtel de Lauzun : chambre à alcôve © Simon Bourcier
    Empruntant un escalier fermé au publié, au nom d'"escalier de Baudelaire" car il mène aux anciens appartements de l'auteur, nous découvrons la chambre à alcôve anciennement louée par Théophile Gautier. C'est le baron Pichon, au XIXe, qui prend le parti de louer l'hôtel par appartements.
    Pour ce faire, il entreprend de recréer l'ambiance d'origine de la demeure du XVIIe. Il déplace ainsi certaines peintures d'une pièce à l'autre, pour combler les espaces vides laissés par les anciens propriétaires. Seules les fresques au plafond se trouvent dans leur pièce d'origine.
    Des peintures déplacées de pièces en pièces

    La chambre de Théophile Gautier et ses multiples secrets

    La chambre de Théophile Gautier et ses multiples secrets - Hôtel de Lauzun : chambre à alcôve
    La chambre de Théophile Gautier et ses multiples secrets - Hôtel de Lauzun : chambre à alcôve © Simon Bourcier
    Ce trumeau est un exemple parfait des illusions de l'hôtel de Lauzun. "Le portrait est un tableau peint au XVIIe siècle, mais acheté au XIXe par le baron Pichon, qui y fait ajouter une mention pour laisser entendre qu'il s'agit de la marquise de Richelieu, ancienne occupante des lieux", précise Marc Soléranski.
    De même, le cadre du miroir et ses angelots sont des imitations que le baron fait produire pour l'installer au-dessus de la cheminée. "On le voit très bien car les pieds des angelots ne reposent pas sur le socle", souligne Raymond Boulharès. Autant de modifications découvertes et analysées par les deux auteurs.
    La chambre de Théophile Gautier et ses multiples secrets

    Charles Baudelaire et Fernand Boissard, locataire du salon de musique

    Charles Baudelaire et Fernand Boissard, locataire du salon de musique - Hôtel de Lauzun : chambre de parade
    Charles Baudelaire et Fernand Boissard, locataire du salon de musique - Hôtel de Lauzun : chambre de parade © Simon Bourcier
    Par une porte communicante, nous entrons dans le salon de musique, ou chambre de parade. C'est Jérôme Pichon qui fait décloisonner la pièce pour laisser apparaître la tribune des musiciens. Son petit-fils, la baron Louis Pichon, devenu propriétaire des lieux en 1905, fait ajouter les balustrades dorées.
    Charles Baudelaire et Fernand Boissard, locataire du salon de musique

    Sous la mezzanine du salon de musique, antre d'un club peu conventionnel

    Sous la mezzanine du salon de musique, antre d'un club peu conventionnel - Hôtel de Lauzun : chambre de parade
    Sous la mezzanine du salon de musique, antre d'un club peu conventionnel - Hôtel de Lauzun : chambre de parade © Simon Bourcier
    Au temps de Jérôme Pichon, les locaux sont occupés par le peintre Fernand Boissard. Charles Baudelaire, quant à lui, habitait au-dessus de Théophile Gautier. A l'hôtel de Lauzun, qu'ils appellent "hôtel de Pimodan" du nom d'un ancien propriétaire, les trois artistes rencontrent le docteur Moreau, qui leur fait découvrir le haschich et l'opium et crée le Club des Haschischins.
    "C'est dans les murs de l'hôtel particulier que les membres se rencontrent, nous raconte Marc Soléranski. Il est possible que les séances décrites par Baudelaire et Gautier dans leurs livres se soient déroulées dans cette même chambre".
    Sous la mezzanine du salon de musique, antre d'un club peu conventionnel

    L'hôtel de Lauzun réunifié et ses pièces en enfilade

    Hôtel de Lauzun : enfilade
    Hôtel de Lauzun : enfilade © Simon Bourcier
    Lorsque le baron Louis Pichon rachète l'hôtel de Lauzun à la Ville de Paris en 1905, il tombe amoureux de l'ancien bien de son grand-père. "Il remercie les locataires, réunifie la maison et effectue des travaux", détaille Raymond Boulharès.
    "L'on retrouve alors le principe de pièces en enfilade, caractéristique du XVIIe siècle", ajoute Marc Soléranski.
    L'hôtel de Lauzun réunifié et ses pièces en enfilade

    L'ouverture aux visiteurs... et ses risques

    Hôtel de Lauzun : garde-robe
    Hôtel de Lauzun : garde-robe © RNB / MAP
    Depuis qu'il a été acquis par la Mairie de Paris en 1928, l'hôtel de Lauzun a commencé une nouvelle vie. Il est au départ ouvert au public, mais l'étroitesse de certains passages rendent difficiles des visites dans de bonnes conditions. "La conservation des murs était mise en péril", argumente Raymond Boulharès.
    L'ouverture aux visiteurs... et ses risques

    Un lieu de réception pour la Mairie de Paris depuis 1928

    Hôtel de Lauzun : escalier d'honneur
    Hôtel de Lauzun : escalier d'honneur © Simon Bourcier
    Après la guerre, l'hôtel accueille des réceptions très officielles. "La maison a vu passer de nombreuses têtes couronnées, comme la reine Elisabeth II en 1957 et le Shah d'Iran en 1961", ajoute Raymond Boulharès, qui se souvient particulièrement du passage du roi Fayçal d'Arabie en 1974, qui avait nécessité d'évacuer les bords de Seine autour de l'hôtel.
    Aujourd'hui, outre l'Institut d'études appliquées qui y est installé, l'hôtel de Lauzun accueille le public ponctuellement, uniquement sur rendez-vous avec la présence d'un conférencier (dates, horaires et tarifs des conférences disponibles sur les billetteries en ligne, tarif environ 10 euros). Un visite qui vaut le détour pour les amateurs de patrimoine et d'architecture.
    Un lieu de réception pour la Mairie de Paris depuis 1928

    Un ouvrage pour raconter la vie de l'hôtel particulier

    L'Hôtel de Lauzun
    L'Hôtel de Lauzun © Editions Artelia
    Lorsqu'il arrive à l'hôtel de Lauzun, Raymond n'a que dix ans et suit son père, nommé gardien du lieu. Il tombe littéralement amoureux de la maison, et commence dès lors à accumuler tous les documents qui l'évoquent. Quarante ans plus tard, alors qu'il est devenu à son tour le gardien de la demeure, il condense toutes ces informations - et plus encore - dans un ouvrage*, avec l'aide de Marc Soléranski, professeur d'histoire de l'art.
    Plus qu'un simple recueil d'images, c'est un véritable travail d'historien que les deux hommes proposent. Pièce après pièce, siècle après siècle, ils ont décortiqué la vie de l'hôtel, retrouvé ses décors d'origine, et rétabli la vérité concernant son histoire et celle de ses occupants, parfois célèbres.
    *L'hôtel de Lauzun
    Raymond Boulharès et Marc Soléranski
    éditions Artelia
    176 pages ; 27 x 21 cm ; relié
    Prix de vente conseillé : 29 €
    Un ouvrage pour raconter la vie de l'hôtel particulier
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