Exposition Architecture en uniforme : L'architecture moderne, art de la guerre

    Publié le 25 juillet 2014 par Pauline Polgar
    L'exposition "Architecture en uniforme, projeter et construire pour la seconde guerre mondiale", actuellement visible à la Cité de l'architecture à Paris, tout en rappelant des destins personnels, démontre les évolutions de la discipline durant cette période trouble. Des évolutions tant dans le geste architectural que dans les techniques, qui ont posé les fondements de l'architecture moderne.
    "Tout autre qu'une parenthèse, cette guerre, dont l'ombre portée s'étend jusqu'au IIIe millénaire, aura cristallisé et accéléré à la fois l'histoire et l'architecture." Un travail de recherches et de compilation de titan, près de 300 œuvres originales exposées, un ouvrage-catalogue qui fait désormais référence : avec cette exposition "Architecture en uniforme, construire et projeter pour la seconde guerre mondiale", l'architecte Jean-Louis Cohen ne propose pas seulement une plongée inédite au cœur de cette période à travers le prisme de l'architecture. Jean-Louis Cohen comble une brèche béante de l'histoire de cette discipline.
    "(...)la guerre redéfinit constamment la conception et l'aménagement de l'espace (...)"
    Car jusqu'alors, peu faisaient cas des architectes pendant la deuxième guerre mondiale et l'on parlait notamment de l'architecture moderne comme celle de l'après-guerre : l'on découvre ici qu'elle a pris racine dans le conflit lui-même. Preuve est faite désormais, comme le résume Mirko Zardini, directeur du Centre Canadien d'Architecture dans la préface de l'ouvrage : "Qu'elle soit menée avec ou sans l'aide de technologies évoluées, la guerre redéfinit constamment la conception et l'aménagement de l'espace, ainsi que notre façon de l'occuper - et l'architecture demeure en partie responsable de l'inévitable destruction qu'elle entraîne et de la reconstruction qui s'ensuit."
    Jean-Louis Cohen d'expliquer ainsi, "Loin d'être un vide obscur dans l'histoire de l'architecture du XXe siècle, la guerre est bien un processus complexe de transformation, engageant toutes les composantes de l'architecture, mobilisées dans sa totalité."

    Les architectes et l'effort de guerre

    Le parcours de visite à la Cité de l'architecture permet de traverser les années et les vies de figures de l'architecture en montrant les apports de chacun. Architectes engagés dans un camp comme dans l'autre, en liberté ou captifs, ont en effet apporté par leur mobilisation, de nombreux travaux de recherche et d'innovations.
    Construction de bunkers, d'usines, de logements ouvriers, consolidation des abris, projets de camouflage des villes, innovation dans les préfabriqués, la construction métallique... "Comme l'illustre le texte de Jean-Louis Cohen, le bois lamellé-collé, le contreplaqué, l'aluminium, les matières plastiques, le béton armé, le Plexiglas, le vinyle, les nouveaux types de caoutchouc et toutes les innovations caractéristiques de la période peuvent être considérés comme le 'meilleur reliquat' de la guerre", décrit ainsi Mirko Zardini. En participant à l'effort de guerre, les architectes ont contribué à l'innovation et à la réinvention de l'habitat moderne.

    Les plans des projets secrets révélés

    Certains projets font aussi froid dans le dos. L'exposition lève le voile, par exemple, sur ce qui s'est passé à Dugway. Ce nom ne dit rien à la plupart d'entre nous. Pourtant, sur le polygone de tir de Dugway aux Etats-Unis, furent édifiés et donc étudiés, des villages allemand et japonais, dans le seul but de tester en réel les effets du napalm, qui venait d'être inventé.
    Derrière le camp d'Auschwitz, il y a aussi des architectes. Une construction qui est plus particulièrement révélée dans cette exposition, au cours de laquelle l'on découvre également des documents inédits sur l'édification du Pentagone, le département de la Défense américaine, ou encore d'Oak Ridge. Cette ville secrète "l'un des plus grands projets de construction de la guerre" forte de 75000 habitants, occupés à travailler sans le savoir, sur la bombe atomique.
    Aucun aspect n'est éludé et certains noms se dévoilent sous un jour inconnu jusqu'alors. Vous l'aurez compris, "Architecture en uniforme, projeter et construire pour la seconde guerre mondiale", est une exposition, à la portée de tous et à ne pas manquer ! Et que l'on soit architecte, historien ou simplement intéressé par l'histoire de notre cadre de vie, l'on ne peut qu'encourager également l'acquisition de l'ouvrage-catalogue, très documenté et simple d'accès.

    Découvrez un aperçu de l'exposition en pages suivantes

    Architecture en uniforme
    Architecture en uniforme © Affiche de l'exposition - Cité de l'architecture
     Exposition "Architecture en uniforme, projeter et construire pour la seconde guerre mondiale"
    Jusqu'au 8 septembre 2014 à la Cité de l'architecture à Paris
    Commissaire : Jean-Louis Cohen, architecte et professeur en histoire de l'architecture et des villes à l'Institute of Fine Arts de New York.
    Exposition créée par le Centre Canadien d'Architecture à Montréal en 20111, adaptée en coproduction par la Cité de l'architecture et du patrimoine de Paris et par le MAXXI de Rome.
    Edition : Architecture en uniforme, projeter et construire pour la seconde guerre mondiale, co-édition CCA et éditions Hazan, 445 pages, 400 illustrations, prix éditeur 38,55€. Cet ouvrage a reçu le grand prix du livre d'architecture de l'Académie d'architecture, l'Art book Price britannique et le Alice Davis Hitchcock book award de la Society of architectural historians américaine.
    Exposition Architecture en uniforme : L'architecture moderne, art de la guerre

    Les architectes au coeur de la guerre

    Marcel Lods en tenue d'aviateur, n.d.
    Marcel Lods en tenue d'aviateur, n.d. © Fonds Marcel Lods/Académie d'architecture/Cité de l'architecture & du patrimoine/Archives d'architecture du xxe siècle
    Marcel Lods
    Paris, 1891-1978
    Architecte. Construit avec Eugène Beaudouin de nombreux bâtiments dans les années 1930. Pilote dans l'aviation en 1939-1940, il travaille avec Le Corbusier au sein de l'ascoral, avant d'étudier la reconstruction de Mayence pour les occupants français à partir de 1946.
    L'exposition s'ouvre sur une galerie de portraits d'architectes. "Mobilisés, déployés sur les fronts, tués ou blessés, prisonniers, résistants ou réfugiés, les architectes n'échappent pas au destin des citoyens des pays en guerre. Mais la revue du Royal Institute of British Architects appela aussi en 1939 ses lecteurs à 'combattre comme architectes au sens le plus plein du terme'. Ils se virent ainsi confier un très large spectre de missions, qui firent d'eux bien plus que de simples citoyens enrégimentés. Leur engagement professionnel dans l'effort de guerre marquera durablement le destin de ceux qui échapperont à une fin tragique." Cité de l'architecture
    Les architectes au coeur de la guerre

    L'architecte Gaston Bardet et Vichy

    Gaston Bardet présentant le nouveau plan de Vichy
    Gaston Bardet présentant le nouveau plan de Vichy © Collection particulière
    Gaston Bardet
    Vichy, 1907-1989
    Architecte et urbaniste. Théoricien et polémiste précoce, il travaille de 1939 à 1943 sur le plan de Vichy, sa ville natale, tout en conduisant des études pour la reconstruction des villes détruites dans la vallée de la Seine.
    Albert Speer, architecte et ministre nazi, à Szymon Syrkus, résistant polonais détenu à Auschwitz, en passant par Le Corbusier, Auguste Perret, Jean Prouvé, Pierre Vago, ou encore les Eames... L'on découvre dans cette exposition, leurs parcours pendant les années noires.
    L'architecte Gaston Bardet et Vichy

    Guerre des villes

    Cathédrale d'Amiens, vers 1940
    Cathédrale d'Amiens, vers 1940 © Emmanuel-Louis Mas, photographe/Ministère de la culture et de la communication/Médiathèque de l'architecture & du patrimoine, dist. RMN-Grand Palais
    Face aux attaques aériennes, les architectes participent à la protection des villes et des monuments. Ici, la cathédrale d'Amiens, protégée par des sacs de sables.
    "Tandis que les oeuvres pouvant être démontées étaient mises à l'abri, les meubles évacués et les vitraux déposés, des empilements de sacs de sable maintenus en place par des charpentes de bois ou de fer furent réalisés autour des monuments et parfois à l'intérieur de ceux-ci. Après la défaite de 1940, ces dispositifs restèrent en place, pendant que des historiens de l'art allemands comme Richard Hamman, le fondateur du Bildarchiv Foto Marburg, effectuèrent des missions d'étude pour rendre compte du caractère germanique d'une partie du patrimoine français." Cité de l'architecture
    Guerre des villes

    Le camouflage ou dessiner l'invisible

    Une équipe de camoufleurs au travail au fort belvoir
    Une équipe de camoufleurs au travail au fort belvoir © Virginie, États-unis. illustration dans Modern camouflage de Robert p. breckenridge
    Une équipe de camoufleurs au travail au fort Belvoir, Virginie, États-Unis.
    "Les usines d'aviation de la côte ouest des États-Unis font l'objet d'un camouflage particulièrement élaboré au cours des mois qui suivent Pearl Harbour, lorsque la menace de raids aériens japonais est prise au sérieux. Une unité spécialisée du génie est constituée à cette fin en Californie, qui recrute des décorateurs issus des principaux studios de Hollywood - Metro-Goldwyn-Mayer, Disney, Fox, Paramount et Universal - pour camoufler une trentaine de bases." Cité de l'architecture
    Le camouflage ou dessiner l'invisible

    Au service de la communication

    Henry Dreyfuss. Carte météorologique dans la salle de situation du bâtiment de l'état-major interarmées, Washington, DC, 31 octobre 1942
    Henry Dreyfuss. Carte météorologique dans la salle de situation du bâtiment de l'état-major interarmées, Washington, DC, 31 octobre 1942 © Photographie officielle de l'US Navy. Henry Dreyfuss archive. Cooper Hewitt National Design Museum, Smithsonian Institution, New York. Photographie : Cooper-Hewitt, National Design Museum, Smithsonian Institution/Art Resource, NY
    Le 31 octobre 1942, dans la salle de situation du bâtiment de l'état-major interarmées, à Washington, DC."L'apport des experts graphistes, artistes ou architectes, sera déterminant pour réaliser des environnements centrés sur l'information répondant aux besoins des états-majors, mais aussi pour concevoir les dispositifs destinés à renforcer l'adhésion populaire à l'effort de guerre, dont les plus remarquables furent réalisés en Grande-Bretagne et aux États-Unis." Cité de l'architecture
    Au service de la communication

    Quatre projets examinés sous le scope architectural

    Vue générale du Pentagone
    Vue générale du Pentagone © National Archives and Records Administration, Washington
    L'exposition apporte un éclairage particulier à quatre "macro-projets" édifiés pendant la guerre : le Pentagone, le camp d'Auschwitz, la ville de naissance de la bombe atomique Oak Ridge et enfin, la base de production et de lancement de fusées de Peenemündene.
    Quatre projets examinés sous le scope architectural

    La Cité de la Muette à Drancy

    La cité de la Muette à Drancy (1931-1934, Eugène Beaudoin, Marcel Lods et Vladimir Bodiansky arch.), n.d.
    La cité de la Muette à Drancy (1931-1934, Eugène Beaudoin, Marcel Lods et Vladimir Bodiansky arch.), n.d. © Fonds Lods. Académie d'architecture/Cité de l'architecture & du patrimoine/Archives d'architecture du xxe siècle
    "La cité de la Muette, ensemble d'habitation édifié en 1934 à Drancy, est un des cas les plus bouleversants des changements d'usage caractérisant les bâtiments investis par la guerre et l'occupation. Conçue par Eugène Beaudouin, Marcel Lods et Vladimir Bodiansky, avec la collaboration de Jean Prouvé, la cité est expérimentale par ses cinq tours de quatorze étages et par sa technologie de panneaux de béton montés à sec sur une ossature d'acier. Elle est présentée en 1942 par José Luis Sert dans 'Can our Cities Survive ?' comme l'un des modèles des nouveaux modes d'habiter attendus pour l'après-guerre. C'est pourtant à ce moment précis qu'elle devient le principal relais de la déportation des Juifs de France"
    La Cité de la Muette à Drancy

    Recycler les technologies militaires

    Simon Breines, Ralph Pomerance "L'avion aide à construire cette maison", Brochure de l'entreprise Cooper & Brass (1943) reproduite dans Donald Albrecht, dir. World War II and the American Dream, 1995
    Simon Breines, Ralph Pomerance "L'avion aide à construire cette maison", Brochure de l'entreprise Cooper & Brass (1943) reproduite dans Donald Albrecht, dir. World War II and the American Dream, 1995 © Collection du Centre Canadien d'Architecture, Montréal
    Recycler les technologies militaires

    A Paris, en 1946

    Paul Colin, Affiche de l'"Exposition des Techniques Américaines de l'habitation et de l'urbanisme"
    Paul Colin, Affiche de l'"Exposition des Techniques Américaines de l'habitation et de l'urbanisme" © Cliché Atelier photographique des Archives Nationales
    Exposition des techniques américaines de l'habitation et de l'urbanisme. "Le ministre de la reconstruction François Billoux inaugure au Grand Palais le 14 juin 1946 cette exposition, qui révèle au public parisien un univers architectural étonnant."
    A Paris, en 1946
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