37 % des meubles vendus en France sont fabriqués en France. Comment a évolué ce pourcentage au cours des dernières années ?
L'évolution depuis les années 2000 est désespérante. En 25 ans, nous sommes passés de 77 % de meubles vendus en France fabriqués sur le territoire à 37 %. Sur la période, les importations de mobilier ont été multipliées par deux et la quantité des meubles en provenance de Chine a énormément progressé pour dépasser 1,5 milliard. Si nous n'agissons pas aujourd'hui, la part de la production française dans la consommation pourrait s'écrouler à 10 % dans 10 ans.
Comment expliquez-vous la hausse des importations, notamment celles en provenance de Chine ?
Les importations en provenance de Chine ont connu un premier sursaut en 2008, une période marquée par la crise des subprimes, et s'accélèrent depuis 2021. C'est en partie lié à la problématique du pouvoir d'achat, mais c'est aussi, je pense, en raison de la structuration de la distribution en France. Dans les années 80, nous sommes passés d'un réseau traditionnel à un modèle plus vaste avec la grande distribution et l'e-commerce, entraînant la délocalisation de l'approvisionnement de ces réseaux. Le tout encouragé par la facilitation du transport mondial et l'essor du meuble en kit.
En parallèle, le marché chinois s'est structuré et a orienté sa production vers l'international, pour faire face à son retrait au niveau local. Avec la fermeture du marché américain, l'Europe est encore plus ciblée aujourd'hui. Même les grands exportateurs européens, comme la Pologne, s'inquiètent du phénomène.
Les prix agressifs pratiqués par les plateformes comme Temu, Shein ou AliExpress renforcent-ils cette accélération comme c'est le cas dans la mode ?
C'est une évidence, le phénomène a un impact sur le secteur de la décoration et de l'ameublement. Dans une étude que nous avons menée en avril dernier, nous avons demandé aux foyers français s'ils avaient acheté au moins un produit de décoration ou un petit meuble sur Temu au cours des douze derniers mois. Les résultats sont accablants : 25 % des personnes interrogées ont répondu oui pour la décoration et 10 % pour le meuble. Shein est légèrement derrière avec 17 % pour la décoration et entre 7 et 8 % pour le mobilier.
Selon le baromètre de l'audience du e-commerce de la Fevad (Fédération e-commerce et vente à distance), Temu est le troisième site le plus fréquenté en France, après Amazon et Leboncoin. Il faut se rendre compte que ces plateformes n'existaient même pas dans le top 15 des sites il y a encore un an pour mesurer l'accélération du phénomène. Cela est très inquiétant pour la suite.

Données Insee (Valeur de production - NAF31) & Eurostat - retraitées par l'Ameublement Français © Ameublement Français
Nous avons d'abord cherché à comprendre comment les prix pouvaient être si compétitifs. Nous avons donc regardé les produits vendus sur ces plateformes et nous avons repéré plusieurs incohérences : les promesses étaient pour nous irréalisables pour les prix proposés et les fiches produits comprenaient des informations contradictoires. Nous les avons donc commandés pour vérifier.
Nous avons commencé avec la literie, en testant la résistance des matelas pour simuler leur vieillissement et en les découpant pour étudier leur composition. Nous avons ainsi pu nous rendre compte qu'ils ne comprenaient pas les ingrédients indiqués sur les fiches produits et qu'ils ne remplissaient pas leurs promesses en termes de durabilité.
Nous avons étendu nos recherches aux autres produits et ainsi identifié cinq caractéristiques de non-conformité qui en font des meubles hors-la-loi : le défaut de sécurité, la tromperie des consommateurs, l'impact environnemental désastreux, la fraude à l'écocontribution et à la TVA et la contrefaçon. Ce qui nous inquiète le plus, c'est l'ampleur du phénomène : c'est la première fois qu'on observe de tels scores de non-conformité sur des échantillons aléatoires.
En quoi ces produits sont-ils dangereux pour leurs utilisateurs ? Quels sont les risques ?
Il est vrai que dans l'ameublement, tous les produits n'ont pas forcément un enjeu de sécurité, bien que nous n'ayons pas encore réalisé de test sur l'usage des produits chimiques. Nous avons néanmoins testé des lits superposés pour les enfants, pour lesquels les normes sont strictes depuis la réglementation de 2015, qui a été renforcée en 2021. Aucun produit ne respectait ces normes : les barrières s'arrachaient ou se brisaient, un risque de pendaison était présent ainsi que de coincement de tête ou autre membre du corps. Nous avons aussi testé des chiliennes, qui comportaient des risques de chute, et des tables à langer avec des sangles, dont le risque était celui de la strangulation.

Illustration © iStock/KatarzynaBialasiewicz
Comment les consommateurs peuvent se protéger de ces risques ?
C'est compliqué pour le consommateur de s'en rendre compte tant qu'il n'a pas le produit dans les mains, mais certains bons réflexes peuvent l'aider à se protéger :
- Le premier est de
se méfier des produits à petits prix avec de grandes promesses.
- Il est ensuite important de
guetter les contradictions dans les fiches produits. Nous avons croisé le cas, par exemple, d'un lit superposé avec toboggan réservé aux enfants de plus de 14 ans…
- Aussi,
si l'éco-contribution n'est pas mentionnée sur la fiche, c'est souvent un indicateur que la société n'est pas en règle.
-
Vérifier l'offre du vendeur. S'il n'a que trois produits très différents, ce n'est généralement pas bon signe.
- Chercher un point de contact et
envoyer un mail avec une demande d'information sur le produit. Si la société n'est pas capable de répondre, c'est qu'elle n'est pas en règle car il est obligatoire d'avoir un point de contact en France.
Quelles sont selon vous les mesures à prendre pour lutter contre cette concurrence ?
Il y a tout d'abord un enjeu de surveillance du marché au niveau européen, car une fois que ces produits entrent dans l'Union européenne, ils y circulent sans souci. Nous souhaitons aussi mieux travailler avec la DGCCRF pour enquêter et donner plus de responsabilités aux plateformes afin qu'elles ne se dédouanent pas sur leurs vendeurs. Car aujourd'hui, quand un vendeur n'est pas conforme, la réponse donnée, bien que le paiement soit fait aux plateformes, est de le supprimer tout simplement. Mais le lendemain, dix nouveaux acteurs hors-la-loi sont ajoutés. Notons que si ces offres produits se mettaient aux normes, les places de marché ne seraient plus en mesure de tenir les mêmes niveaux de prix et ne constitueraient plus une concurrence déloyale pour les autres acteurs du marché.
Comment remettre l'offre française sur le devant de la scène alors que les marques sont mal connues ?
Très peu de marques françaises sont connues, à l'exception de celles qui ont leurs propres réseaux de distribution ou des acteurs historiques qui ont travaillé sur leur identité. Nombreuses sont celles qui se sont contentées de se positionner comme des fabricants pour des réseaux de distribution sans développer leur notoriété auprès des consommateurs, ni travailler leur dimension de marques. Ce sont pourtant des marques qui proposent de vrais services, notamment en termes de réparabilité ou de livraison. Il faut qu'elles se réapproprient leur communication.