Neuro-architecture : quand la maison prend soin de nous

    Publié le 24 novembre 2025 par Agnès Carpentier
    Comment la lumière, les couleurs ou l'agencement de nos pièces peuvent-ils influencer positivement notre santé et nos émotions ? Décryptage avec Georgia Crozet, architecte au sein de l'agence nantaise Dialog Architectes, spécialisée depuis quelques années en neurosciences du comportement et qui enseigne à l'École de design de Nantes dans la section design immersif.
    Du 7 au 9 novembre 2025, le Salon Habitat Déco s'est invité au Parc des Expositions de Nantes. Plus grand rendez-vous du secteur dans l'Ouest, l'événement a réuni passionnés et curieux en quête de solutions pour bâtir, rénover et embellir leur intérieur. Si les tendances fortes du moment - matériaux naturels, artisanat et couleurs douces en tête - y étaient largement représentées, une conférence a particulièrement retenu notre attention. Loin des modes éphémères, elle explorait un thème aussi rare que passionnant : le lien direct entre les neurosciences et notre habitat. Son nom ? La neuro-architecture.
    Comment la lumière, les couleurs ou l'agencement de nos pièces peuvent-ils influencer positivement notre santé et nos émotions ? C'est la question que pose cette discipline, qui émerge aux États-Unis au début des années 2000 mais reste encore balbutiante en France. Nous avons donc saisi l'opportunité de rencontrer l'une de ses pionnières françaises, Georgia Crozet. Architecte au sein de l'agence nantaise Dialog Architectes, elle s'est spécialisée depuis quelques années en neurosciences du comportement et enseigne à l'École de design de Nantes dans la section design immersif. Une rencontre essentielle pour comprendre comment la science du bien-être améliore concrètement la maison.

    Qu'est-ce que la neuro-architecture ?

    Avant toute chose, il est essentiel de définir cette approche. Loin des tendances esthétiques, la neuro-architecture se situe à la croisée des neurosciences, de la psychologie et de l'architecture. Elle cherche à comprendre comment nos maisons - mais aussi bureaux, écoles, hôpitaux... - influencent notre cerveau. L'objectif ? Concevoir des environnements qui favorisent activement le calme, la concentration et la santé mentale.
    Georgia Crozet prend soin de la distinguer d'autres philosophies de l'habitat. Il ne s'agit pas ici d'une approche spirituelle, mais bien d'une démarche factuelle. Comme elle le précise : "La neuroarchitecture, à la différence du feng shui qui repose sur des principes énergétiques, s'appuie sur des données issues des neurosciences. Son objectif est de comprendre comment les espaces influencent le cerveau, les émotions et le comportement, afin de concevoir des environnements favorisant le bien-être et l'adaptation sensorielle."

    Biophilie : notre besoin vital de nature

    Pour illustrer son propos, l'architecte commence par un concept clé : la biophilie. "C'est notre besoin de nous lier à la nature", explique-t-elle. Notre ADN est marqué par des millénaires passés au contact du monde naturel, alors que notre vie dans des espaces bâtis est très récente. Pour l'architecte, cette connexion à la nature est fondamentale. Des études ont d'ailleurs prouvé que "des personnes qui passent juste quelques minutes dans un espace naturel arrivent à baisser leur taux de cortisol", l'hormone du stress. Le plus étonnant ? Notre cerveau fait peu la différence entre le réel et sa représentation. "Si vous mettez simplement des cadres avec des images de nature, pour nous, c'est déjà très bien", assure Georgia Crozet. Papiers peints aux motifs végétaux, mur de couleur verte, fleurs séchées ou même artificielles, tous ces éléments envoient un signal positif à notre cerveau.

    Lumière, matériaux, couleurs : un dialogue permanent avec notre cerveau

    Au-delà de la nature, trois éléments sont fondamentaux pour créer un intérieur qui nous fait du bien.

    La lumière, notre horloge interne

    "La lumière est notre horloge biologique, d'ailleurs en Europe nombreux sont ceux qui subissent la dépression saisonnière des mois d'hiver", évoque l'architecte, originaire du Brésil. Elle régule nos cycles hormonaux. Le matin, une lumière blanche augmente la sécrétion de cortisol (essentiel à l'éveil), tandis que le soir, la lumière jaune augmente la sécrétion de mélatonine, l'hormone du sommeil. Son conseil est simple : "Chez soi, le soir, privilégier des éclairages indirects et chauds pour préparer le corps au repos."
    Le rythme circadien est l'horloge biologique interne de notre corps qui régule les cycles d'éveil et de sommeil sur une période d'environ 24 heures.
    Le rythme circadien est l'horloge biologique interne de notre corps qui régule les cycles d'éveil et de sommeil sur une période d'environ 24 heures. © Dialog Architectes
     
    Les matériaux, un retour aux sources
    "Comme l'humain est lié à la nature, on se sent très bien avec des matériaux comme le bois, le liège, la pierre", affirme Georgia Crozet. Si les matériaux froids comme le verre ou l'acier peuvent être esthétiques, les matières naturelles apportent un sentiment de confort et de bien-être bien plus profond, directement lié à nos origines.
    Les couleurs et l'ancrage affectif
    Le pouvoir des couleurs n'est plus à prouver. L'architecte préconise par exemple des tons poudrés et pastel pour des pièces comme la chambre. Mais elle insiste surtout sur ce qu'elle nomme l'"ancrage affectif". Il s'agit de s'entourer d'objets, de photos ou de souvenirs qui ravivent de "très bonnes émotions". Oubliez les diktats, votre maison est faite pour vous : "N'hésitez pas à mettre des choses chez vous qui vous rappellent de très bons moments. Pour moi ce sont les hortensias, qui m'évoquent des souvenirs de famille chers", partage-t-elle.

    Vers un habitat inclusif et sur-mesure

    Le véritable pouvoir de la neuro-architecture se révèle lorsqu'elle s'applique à des besoins spécifiques. Loin d'une vision universelle de la science appliquée à l'habitat, elle se révèle au contraire particulièrement adaptée à une approche personnalisée. "Nous sommes tous différents, et nous avons donc tous des besoins différents", rappelle Georgia Crozet. L'architecte rappelle d'ailleurs son besoin de comprendre profondément les besoins de chacun de ses maîtres d'ouvrage lorsqu'elle exerce une mission d'architecture ou d'AMO (assistance à maîtrise d'ouvrage). "C'est véritablement une étape fondamentale de mon travail", assure-t-elle.
    Cette personnalisation se révèle d'autant plus cruciale pour les personnes neuroatypiques (autisme, hypersensibilité...). L'architecte explique qu'il existe un large spectre de sensibilités : "On parle souvent des hypersensibles mais il existe également des hyposensibles. Et les besoins seront radicalement différents."
    Une personne hypersensible aura par exemple besoin d'un environnement apaisant : couleurs neutres, éclairage indirect pour éviter les ombres anxiogènes, espaces plus confinés... A l'inverse, une personne hyposensible cherchera la stimulation : des couleurs contrastantes, de grands espaces et de larges ouvertures.
    La conception d'espaces pour les personnes autistes est l'un des champs d'application les plus concrets et puissants de la neuro-architecture. "L'objectif principal est de créer un environnement qui sera en accord avec l'usager, soit réduire la surcharge sensorielle soit l'augmenter, afin de diminuer l'anxiété et de favoriser l'apaisement", explique Georgia Crozet. Concrètement, pour une personne hypersensible, cela peut se traduire par l'utilisation d'une palette de couleurs neutres et mates pour éviter toute agression visuelle. L'éclairage sera indirect, avec des variateurs d'intensité pour bannir l'éblouissement et les ombres portées anxiogènes. On favorisera les rangements fermés pour créer un espace visuellement "calme", et des matériaux absorbants comme des rideaux épais ou des tapis pour étouffer les bruits. Un autre élément fondamental est la création de "zones de retrait" : une alcôve, un coin cabane, un espace confiné où la personne peut se réfugier pour s'isoler et se réguler lorsqu'elle se sent submergée.
    Salon réalisé par l'architecte Georgia Crozet
    Salon réalisé par l'architecte Georgia Crozet © Dialog Architectes
     
    Réalisé par l'architecte Georgia Crozet de Dialog Architectes, ce salon illustre parfaitement l'application de la neuro-architecture. Les murs bleus et le papier peint céleste ne sont pas que des choix esthétiques ; ils sont conçus pour favoriser la détente et réduire la charge cognitive, transformant cet espace en une véritable bulle de sérénité où l'esprit peut se relâcher et retrouver son équilibre.
    La neuro-architecture n'offre donc pas une recette magique, mais bien une méthode rigoureuse, appliquée à une connaissance approfondie de chaque client. Pour l'architecte, tout l'enjeu est de décoder ces besoins uniques afin de créer un espace qui ne soit pas seulement beau, mais qui agisse comme un véritable soutien au quotidien. Si la science en est un atout fondamental, l'approche reste profondément humaine et redonne tout son sens à l'expression "se sentir bien chez soi".
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